
À l’heure où l’environnement numérique transforme les modalités d’accès au savoir et à la culture, de plus en plus d’institutions et de structures culturelles s’intéressent aux processus de médiation numérique. De l’application smartphone à la plateforme personnalisée interactive, a priori le but est simple : investir de nouveaux territoires de diffusion. En réalité, la médiation numérique apparaît comme un moyen pour le secteur culturel de retrouver sa place dans un contexte où le modèle traditionnel s’essouffle.
1. La crise de la légitimité culturelle
Ce n’est pas un phénomène nouveau. Dès les années 1960, la sociologie s’est emparée de la question de la légitimité des institutions culturelles à travers la critique de la hiérarchie culturelle. Dès lors, le sentiment d’institutions trop prescriptives et une vision trop paternaliste de la culture n’ont cessé de marquer le secteur culturel. Le musée, la bibliothèque, en dépit des politiques de démocratisation culturelle, demeurent des lieux intimidants. Or, dès lors qu’ils sont perçus comme une altérité non familière, ils s’inscrivent en contradiction avec leur mission de rendre accessible à tous la culture et le savoir.
À ce titre, l’avènement du numérique et particulièrement du web 2.0 a constitué une formidable opportunité pour dépasser l’échec de la démocratisation culturelle. Une visite virtuelle rend possible, par exemple, le fait d’envisager une diffusion qui dépasse les murs de l’établissement et le développement d’outils participatifs va plus loin en permettant d’intégrer véritablement l’usager au processus.
C’est de plus en plus le cas avec les bibliothèques qui tentent de penser des formats natifs de médiations numériques en favorisant la co-création avec les usagers (hackathon, biblioremix, etc.) et c’est déjà le cas dans les musées avec les guides interactifs et les fameux muséomix qui se veulent des laboratoires de nouvelles expérimentations numériques. D’ailleurs, le projet Musées parisiens 3.0, qui est soumis au vote des parisiens jusqu’au 1er octobre 2014, est à ce titre représentatif de la prise de conscience croissante de la nécessité d’inventer de nouveaux processus de médiation numérique —j’aurai l’occasion d’en reparler. En gros, il s’agit de créer un outil numérique accessible, gratuit et participatif pour mettre en relation d’une nouvelle façon les parisiens et leur patrimoine.
2. L’évolution de la prescription : de la verticalité à l’horizontalité
L’importance accordée à l’aspect participatif n’est pas le simple fait de l’avènement du web 2.0. S’il est propre au nouveau rapport au savoir instauré par le numérique, il découle d’un profond bouleversement de la médiation qui a perdu toute légitimité sous sa forme verticale ou hiérarchisée. La prescription passe en effet de moins en moins par les acteurs traditionnels et de plus en plus par les pairs. En gros, on est beaucoup moins dans une dimension de maître à disciple que dans une émulation de relations.
Ainsi, c’est la modalité même de la médiation dans les institutions qui se trouve dès lors interrogée, voire remise en question. Avec les sites collaboratifs, la prescription se déplace pour devenir horizontale et il devient en effet de plus en plus difficile de proposer une offre de masse essentiellement prescriptive à un public de plus en plus habitué à des relations horizontales, participatives et personnalisées.
3. Les changements d’usages : désintermédiation et individualisation des pratiques culturelles
Les Technologies de l’Information et de la Communications engendrent ainsi une désintermédiation et une individualisation des pratiques culturelles, dans un contexte d’ « infobésité », c’est-à-dire de surabondance de contenus disponibles, dans lequel l’usager manque cruellement de repères. C’est pourquoi les outils d’accompagnement et les aides au choix —donc le travail de médiation— en viennent à prendre énormément de valeur. La pertinence du dispositif ne réside désormais plus tellement dans le support que dans le service qu’il apporte aux usagers.
Silvère Mercier, bibliothécaire chargé de la médiation et des innovations numériques à la Bibliothèque Publique d’Information – Centre Pompidou, décrit d’ailleurs à raison la médiation numérique comme « une démarche visant à mettre en œuvre des dispositifs de flux, des dispositifs passerelles et des dispositifs ponctuels pour favoriser l’accès organisé ou fortuit, l’appropriation et la dissémination de contenus à des fins de diffusion des savoirs et des savoir-faire».
L’abandon de la prescription verticale et la désintermédiation font qu’il devient difficile de « faire le tri » parmi la masse de contenu accessible. Au delà du traditionnel rôle de prescripteur, les institutions ont ainsi dans ce contexte un rôle à jouer en constituant une véritable valeur ajoutée par des dispositifs de médiation adaptés. Comme je le répète souvent dans le cadre d’un autre débat, celui du livre numérique, Google n’a pour l’instant « que » l’avantage de la maîtrise des canaux de diffusion. L’avantage de la médiation, ce sont les institutions culturelles qui le détiennent… à condition de vouloir s’en servir.
Mélanie Eledjam
Une réponse sur « Quels sont les enjeux auxquels le secteur culturel doit se confronter ? »
[…] À l’heure où l’environnement numérique transforme les modalités d’accès au savoir et à la culture, de plus en plus d’institutions et de structures culturelles s’intéressent… […]