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Les nouveaux termes de la culture : le consommateur culturel, marketing dans le processus créatif

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Engagement, le terme est à la mode, mais que recouvre-t-il exactement ? Des techniques, la possibilité de mesurer l’échange et la conversion (en pièces sonnantes et trébuchantes) de son public ? Et pourquoi parler de consommateur culturel ? Je sens déjà votre irritation poindre le bout de son nez… Consommateur culturel, tout simplement parce que c’est un panel de professionnels de la culture à Montréal sélectionnés par HEC Montréal qui avait pour mission de répondre à cette ambitieuse question.

Qu’on se le dise, en Amérique du Nord, il n’y a plus de public(s) ou de service public mais des consommateurs et des clients. Le glissement de langage peut apparaître subtil mais il est révélateur tant de la relation qu’ont les institutions avec leur public mais aussi comment ceux-ci se considèrent.

C’est ainsi que Fanny Mooijekind, directrice plateformes digitales et relation client au Cirque du Soleil, Guillaume Therrien, directeur marketing et ventes de l’Opéra de Montréal et Matthieu Stréliski, directeur marketing numérique à l’Office national du film du Canada ont eu à s’exprimer sur les différentes stratégies marketing numériques que l’on peut mettre en place pour valoriser l’expérience du consommateur culturel.

Quelle intervention du marketing dans le processus créatif ?
Question assez complexe, puisqu’en théorie le processus créatif se fait – dans la plupart des institutions – indépendamment des résultats d’enquêtes d’opinion ou de détection des tendances. C’est ce qu’affirme en tout cas le Cirque du Soleil qui dit préférer commercialiser et mettre en avant le bon produit en face du bon client (un spectacle = un produit, le Cirque du Soleil présentera pas moins de 13 spectacles en 2014) afin de contrer la compétition à laquelle fait face son public. La gestion des données clients (le Big Data et les outils de CRM – Customer Relationship Management ou gestion des relations clients en bon français) prend alors tout son sens, car dans un monde idéal, une structure serait capable d’adresser à un individu en particulier l’information qu’il demande et ce, au bon moment.

Quant à l’Office national du film et l’Opéra de Montréal, la réponse est plus nuancée. Guillaume Therrien admet qu’il a des conversations fréquentes (mais pas toujours fructueuses) avec le directeur de création de l’Opéra. Ces discussions sont selon lui nécessaires du fait de la fragilité de la structure financière qui pousse l’Opéra à porter plus d’attention aux besoins et aux attentes de son public. Il souligne également que les créatifs également ont besoin de se conforter avec des données pour valider leurs propres choix artistiques. Les discussions entre le marketing et la création seraient donc le résultat d’un besoin de part et d’autre de l’institution.

Quant à l’ONF, le fonctionnement du département marketing restant très calqué sur celui du marketing de film ; par projet, l’institution s’est rendue compte plusieurs fois qu’elle risquait de perdre le lien avec son public, l’ONF proposant en grande majorité des films d’auteurs et des courts métrages d’animation, films bénéficiant traditionnellement d’une faible couverture marketing face aux blockbusters américains. (Je vous le rappelle, nous sommes en Amérique du Nord). Pour l’institution, le marketing intervient assez peu dans le processus de création, mais permet de rejoindre différemment l’auditoire, très fragmenté.

Le marketing digital implique t-il la mort du plan média traditionnel ?
Selon Guillaume Therrien ; « le numérique est arrivé avec quelque chose de différent, que l’on ne connaissait pas avec le plan média traditionnel ».

Le marketing numérique implique maintenant la rétroaction. Les professionnels ont constamment besoin de s’interroger pour comprendre les besoins de leurs audiences.

Guillaume Therrien, directeur marketing et ventes de l’Opéra de Montréal

Matthieu Strélinski confirme : « Le nouveau comportement dû au marketing numérique nous impose d’être assez flexible. Il nous faut capter cette rétroaction ». Certains films, dans le cas de l’ONF, n’ont par conséquent pas forcément eu besoin de beaucoup d’efforts marketing puisque, même s’ils s’adressaient à une petite audience, celle-ci était une audience de niche très active. Fanny Mooijekind du Cirque du Soleil ajoute qu’en effet il faut être capable d’isoler les niches très vite et se mettre en « mode d’optimisation constante et non plus en mode planification comme on en avait l’habitude précédemment ».

Enfin, la force du marketing numérique est, selon Guillaume Therrien, de pouvoir démultiplier le bouche-à-oreille et qu’en cas de retombées positives, il faut impérativement penser à pouvoir outiller le public qui parle positivement de l’institution afin d’en faire ses propres ambassadeurs. « Il faut faire en sorte que les personnes se sentent privilégiées d’être là », ajoute-t-il.

Cependant, selon Matthieu Strélinski, le marketing digital n’implique pas pour autant la fin du travail structuré, ni du plan média traditionnel, toujours nécessaire, quoique de moins en moins présent. Il est primordial de garder un cap et de ne pas trop s’éparpiller.

Quel retour sur investissement ?
Pour ceux et celles qui ne sont pas familiers avec le marketing, le retour sur investissement (ou ROI – Return On Investment) est un des outils de mesure les plus utilisés pendant les campagnes (combien rapporte à l’institution un client / consommateur / individu ayant acheté des billets par rapport à l’investissement temps / argent fourni).

L’Opéra de Montréal a mis en place récemment la tarification dynamique (basée sur la demande) afin de donner de la valeur aux places ce qui permet à l’institution de ne plus communiquer sur des rabais. L’opéra communique ainsi plusieurs semaines avant le spectacle auprès de son public afin que ce dernier bénéficie à la fois des tarifs les plus avantageux et les meilleures places. Le Cirque du Soleil, lui aussi, utilise l’évolution des prix basée sur la demande. Cependant, dans son message, il met l’accent sur l’expérience que va vivre le public lors de ses spectacles.

La problématique de l’ONF est néanmoins différente. L’offre gratuite est prépondérante sur le site et le travail de Matthieu Strélinski est de faire en sorte que l’offre payante (que j’ai découverte ce soir-là) remonte au fur et à mesure et apparaisse de façon équitable sur le site, tout en gardant une expérience uniforme de la marque ONF (qui est présente sur de nombreuses plateformes tierces, comme au sein des écoles, des bibliothèques, des rendez-vous de la Francophonie, etc.). La curation des contenus se fait d’ailleurs de façon évolutive. L’ONF travaille en effet sur une grille éditoriale, un peu comme un magazine, pour actualiser le contenu en permanence et fidéliser son public. Les contenus peuvent ainsi être mis en avant sur le site en fonction des sujets tendances. C’est ainsi que lorsque le phénomène Grumpy Cat (le chat assez laid dont on a l’impression qu’il fait la tête) a saisi la toile, l’ONF a mis en avant des films avec des chats (oui, oui).

Et ensuite ?
L’avantage de ce type de conférence, surtout en Amérique du Nord, est d’être très décomplexée (sauf quand les trois panélistes se sont excusés au début d’être des « marketeux »). Le propos peut parfois surprendre mais il est intéressant de comprendre comment trois organisations, dont deux dans le spectacle vivant, gèrent les relations avec leur public, relations qui se retrouvent encore parfois en France sous la bannière du développement des publics ou de la politique des publics. La vision du public en tant que client est extrêmement spécifique à l’Amérique du Nord, puisque les organismes culturels voient depuis plusieurs décennies les subsides publics baisser drastiquement. Le Cirque du Soleil d’ailleurs communique de façon assez fière sur le fait qu’il ne perçoit aucune subvention publique.

En ce qui concerne l’évolution dynamique des prix, c’est un sujet qui avait déjà été abordé lors de la conférence Culture Business à l’Institut du Monde Arabe en 2013. Cette problématique n’est donc pas nouvelle. Quant à l’acceptation de cette évolution par le public et le milieu culturel, c’est une autre histoire. Plus d’information à venir…

ABOUT :

Une fada en marketing le tout dans un grand cirque, je suis également blogueuse et fondatrice de Culture et Communication. Férue d’expositions, j’ai toujours voulu en savoir plus sur les structures qui étaient derrière les musées. Mes deux ouvrages sur le musée virtuel sont publiés aux éditions le Manuscrit. Mon dada à moi : le Moyen-Age.